Dante Alighieri -700 

Lasciate ogni speranza voi ch’entrate

(Abandonnez tout espoir, ô vous qui entrez)

Au début de l'acte III de l'opéra Orfeo de Claudio Monteverdi (ouverture en podcast), Orphée se trouve aux portes de l’Enfer accompagné par l’Espérance. Dans un court récit il remercie la déesse de l’avoir guidé et demande son aide pour la suite du chemin. Mais l’Espérance lui montre précisément cette à la porte du royaume de Pluton: “Lasciate ogni speranza voi ch’entrate !“  Il devra donc cheminer seul.

Cette phrase tirée de L‘Enfer de Dante est sûrement la plus citée de toute la littérature italienne. Dans le livret de Striggio, cette citation installe une dimension chrétienne dans le mythe, donne toute son “italianité” au poème en citant ainsi l’œuvre fondatrice de la littérature italienne et préfigure la chute d’Orphée puisque c’est le doute, l’absence d’espérance, qui le poussera à se retourner. En voyant l’Espérance le quitter, Orphée chante un récit plein de détresse, écrit dans l’aigu de la tessiture... (forum opéra).

Né à Florence dans la seconde partie du mois de mai 1265, Dante aurait étudié la philosophie et la théologie à l’Université de Bologne. En tout cas, il acquiert un savoir impressionnant embrassant l’ensemble de la culture médiévale et connaît les classiques de la littérature, en particulier Virgile, Ovide, Cicéron, Boèce… 

Conformément aux coutumes de l’époque, le futur poète, encore adolescent, est marié à Gemma Donati avec laquelle il aura des enfants (dont Piero et Jacopo qui géreront l’œuvre de leur père). L’amour de sa vie, il l’éprouve pour Beatrice Portinari,  qu’il a rencontrée à l’âge de neuf ans et qui devient la muse de son chef d’œuvre, la Divine Comédie. 

Comme soldat florentin, il participe à des campagnes militaires: Campaldino (contre les Arétins, 1289) et vraisemblablement Caprona (contre les Pisans). 

A l’âge de trente ans, Dante fait son entrée sur la scène politique de sa ville natale. Comme artiste, il se lie aux médecins et marchands d’épices et rejoint les rangs des Guelfes blancs qui réclament l’indépendance vis-à-vis de la papauté - dont les intérêts sont défendus par les Guelfes noirs. Le poète assure le priorat (charge suprême de la cité dont le mandat est très bref) pendant l’été de l’an 1300. 

Alors qu’en sa qualité de membre du Conseil des Cent il est envoyé comme ambassadeur à Rome (1301), les Noirs s’emparent du pouvoir, avec l’appui de Charles de Valois. La répression réactionnaire qui s’abat sur Florences est terrible. La peine de mort est prononcée par contumace à l’égard de Dante, le 10 mars 1302. C’est l’exil qui élargira l’ horizon du poète « provincial »: Dante devient un écrivain universel. 

Bénéficiant du soutien du seigneur de Ravenne, Dante y meurt le 14 septembre 1321 de fièvres paludéennes, au retour d’une mission à Venise. 

En 1310, il avait placé tous ses espoirs dans la campagne d’Italie de l’empereur Henri VII de Luxembourg qu’il croyait (à tort) capable de pacifier et d’unifier l’Italie morcelée et meurtrie par des guerres fratricides. Sans doute il voyait aussi en lui le prototype du Monarque capable d’ériger une sorte de gouvernement mondial (La Monarchia). 

«Pour supprimer les guerres et leurs causes, il convient nécessairement que toute la terre, et tout ce qu’il est donné de posséder à la race humaine, soit une Monarchie, c’est-à-dire une seule principauté ayant un seul prince. Et que celui-ci, possédant tout et ne pouvant davantage désirer, maintienne contents les rois dans les limites de leurs royaumes, en sorte qu’entre eux règne la paix, en quoi les cités se reposent (…); de sorte qu’étant satisfait, l’homme vive dans la félicité: chose pour laquelle il est né.» 

(Il Convivio, L. IV, Ch. IV) 

Ces idées novatrices sur la nécessité de l’organisation planétaire de l’humanité sont formulées, pour l’essentiel, dans Le Banquet (livre IV) et La Monarchie (livre I). Ces œuvres ont aussi comme particularité d’avoir été écrites en italien, langue considérée comme ‘vulgaire’ à l’époque, mais aussi langue de vulgarisation par excellence. 

Dans La Monarchie, l’explication de trois objectifs surtout témoignent de la lucidité et du courage de leur auteur : 

1) la paix universelle comme objectif de l’humanité, considérée comme une entité. Notons que l’auteur se réfère non pas au monde « christianisé » mais à la «race humaine» en tant que telle; 

2) le moyen pour y arriver: une autorité politique universelle coiffant les cités, les royaumes et les empires et se dotant des règles communes indispensables pour contrecarrer la prolifération des disputes militaires locales et régionales insolubles; 

3) droit de légiférer à différents niveaux (cité, royaume, empire, monarchie): même le Monarque qui représente l’autorité universelle ne doit pas disposer du droit exclusif de légiférer. 

Avec ces seuls principes, Dante a posé il y a 700 ans les fondements du droit universel et de la subsidiarité. Il a fallu attendre des siècles pour que d’autres penseurs évoquent et décrivent des principes politiques d’une telle portée  universelle. 

«De plus, l’humanité entière est un tout par rapport à certaines parties, et une certaine partie par rapport à un tout. Elle est en effet un tout par rapport aux royaumes particuliers et aux peuples (…), mais elle n’est qu’une certaine partie par rapport à l’univers entier.  (…) Ce n’est que lorsqu’il est soumis au Monarque que le genre humain existe pour lui et non pas pour autrui: alors seulement on redresse les formes faussées de gouvernement [où l’homme bon est un mauvais citoyen].» 

(La Monarchie, L. I, Ch. VII/VIII) 

(sources: Christian Bec, François Livi, Josy Peschon, fce, Le Fédéraliste, Le Livre de Poche réf. 31)

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