La genèse d'une sonate pour violoncelle seul 

György Ligeti (1923-2006) figure certainement au rang des plus importants compositeurs de l'après-guerre.

Dans ses écrits autobiographiques, il relate des propos accordés au journaliste Steven Paul au sujet de la longue genèse de sa sonate pour violoncelle seul, à partir de 1948.

Mais avant d’entrer dans les détails, je dois d’abord vous dire que le violoncelle est le seul instrument à cordes que j’aie appris, si peu que ce soit. Je me suis mis au piano très tard, et lorsqu’à l’âge de dix-huit ans j’ai commencé à étudier la composition au Conservatoire de Cluj, j’étais très handicapé par ma connaissance limitée des instruments. J’ai donc étudié plusieurs instruments en même temps, et j’ai choisi le violoncelle parce que je voulais avoir une petite idée de la manière dont on écrivait pour les cordes. J’ai gardé une prédilection pour cet instrument, que je connais mieux que le violon ou l’alto. Donc, c’était en 1948 et j’étais étudiant à Budapest…

ll y avait une jeune fille du nom d’Annuss Virány qui jouait du violoncelle, et dont j’étais secrètement amoureux...J’ai écrit cette pièce et je l’ai intitulée «Dialogo», sans penser qu’elle deviendrait plus longue. Je connaissais un peu la technique du violoncelle, les doubles et les triples cordes. Et puis je lui ai donné la pièce — elle m’a remercié, sans avoir la moindre idée de la raison pour laquelle je l’avais écrite à son intention. Elle ne l’a jamais jouée, et c’en est resté là...

Dialogo un dialogue. C’est comme deux personnes, un homme et une femme, qui conversent. J’ai utilisé la corde de do, la corde de sol et la corde de la séparément. À cette époque, j’étais influencé par Bartók, et aussi par Kodály. J’avais écrit une musique beaucoup plus « moderne » en 1946 et 1947, et puis en 1948, j’ai commencé à avoir l’impression que je devais essayer d’être plus « populaire ». Je croyais un peu au socialisme, mais non au communisme ; les socialistes ne sont cependant restés qu’un an, en 1948, car les communistes ont ensuite pris le pouvoir, et je leur étais totalement opposé. J’ai tenté dans cette pièce d’écrire une belle mélodie, avec un profil typiquement hongrois, mais non pas un chant populaire… ou à moitié seulement, comme chez Bartók ou Kodály — en fait, plus proche de Kodály. 

Mais elle fut jouée beaucoup plus tard. En 1953, j’ai rencontré une violoncelliste très connue - je n’étais pas amoureux d’elle et elle était beaucoup plus âgée que moi – qui s’appelait Vera Dénes. Elle m’a demandé une œuvre, et je lui ai répondu que j’en avais une qui n’avait jamais été exécutée et que j’écrirais un mouvement vif pour en faire une brève sonate en deux mouvements, une sorte de demi-commande. Comme le second mouvement avait l’« ambition » de devenir un mouvement de sonate, je l’ai écrit en forme-sonate. C’est une pièce virtuose dans mon style plus tardif ; elle est plus proche de Bartók, et plus difficile que le premier mouvement. Les deux mouvements vont-ils ensemble ? Je ne peux pas en juger. Je l’espère. 
Mais avant que la pièce ne puisse être jouée, et avant que je ne puisse recevoir ne fût-ce qu’une modeste rémunération, la Sonate devait être acceptée par l’Union des Compositeurs, en l’occurrence par un homme qui s’est révélé être membre du K.G.B. J’avais besoin d’argent, car je n’avais qu’un petit poste à l’Académie de musique de Budapest et j’étais compositeur indépendant. Si j’avais été exclu de l’Union, c’est un travail physique qui m’aurait été imposé. Vera Dénes apprit la Sonate et la joua pour le comité. On nous refusa l’autorisation de publier l’œuvre ou de la donner en public, mais on nous permit de l’enregistrer pour une émission de radio. Elle en fit donc un excellent enregistrement pour la Radio hongroise, mais qui ne fut jamais diffusé. Le comité décida qu’elle était trop « moderne », en raison du second mouvement… Le «
Capriccio». Peut-être auraient-ils accepté le premier mouvement, je ne sais pas. Le «Capriccio » est une pièce de haute virtuosité. J’avais trente ans quand je l’ai écrite. J’aimais la virtuosité et j’ai poussé la technique aux limites de la virtuosité, un peu comme… Paganini.

La première exécution publique de la sonate fut finalement donnée et créée à Paris en 1983 par le violoncelliste sarrois Manfred Stilz, en présence du compositeur.

En podcast, écoutons-en la version Studio (FCE) d'Aleksandr Khramouchin (2002). Rendez-vous ultérieur à la rubrique Espaces et Résonances pour la version sur le vif à la Villa Louvigny.

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